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DOSSIER - Le sol, un allié invisible encore méconnu Sous la surface, l’allié de la performance végétale

« Le sol constitue aujourd’hui un élément structurant des projets de paysage et de plantation, par sa qualité biologique, sa perméabilité et l’ampleur des surfaces dédiées. Les collectivités doivent engager des diagnostics pédologiques et développer des compétences en ingénierie des sols. Ces leviers sont essentiels pour concevoir des espaces végétalisés durables en milieu urbain », souligne Anne Marchand, coprésidente de l’Observatoire des villes vertes.

Reconnus pour leur rôle essentiel en production végétale, les sols vivants s’imposent progressivement comme un pilier de la résilience des espaces urbains.

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Les résultats de la 17e enquête de l’Observatoire des villes vertes (lire l’en­cadré), réalisée en avril et mai 2025, mettent en lumière la manière dont les villes envisagent la question des sols urbains : si leur importance est globalement reconnue, la traduction concrète en actions reste encore limitée, faute d’expertise ou de moyens. Pourtant, le lien entre la qualité des sols et la santé du végétal est de plus en plus établi. En particulier, de nombreux dépérissements d’arbres s’expliquent par des sols dégradés, compactés ou inadaptés.

> Lire également : "Le sol : un allié invisible encore méconnu" dossier du Lien horticole n°1148 de septembre 2025.

C’est ce qu’a souligné Philippe Baron, de la métropole de Lyon, lors des portes ouvertes d’Astredhor Auvergne-Rhône-Alpes (Aura), à Brindas (69) le 3 juillet dernier (lire ici), en rappelant que les dysfonctionnements du sol figurent parmi les causes fréquentes d’affaiblissement des arbres urbains.

Des racines confinées dans la motte ou étranglées, même sur des spécimens hauts de vingt mètres : ces constats post-excavation illustrent les difficultés d’enracinement en ville. Pour y répondre, la métropole de Lyon participe au projet Amares (2023-2026) piloté par Plante & Cité, qui vise à tirer des enseignements de la mortalité des arbres afin d’adapter les pratiques de plantation.

Le rôle du sol et de l’eau dans le développement racinaire y est au cœur des réflexions. Certaines pratiques évoluent déjà : baisse de la pratique du mélange terre-pierre, fosses élargies, recours à la terre végétale, réemploi de matériaux terreux, biodynamisation… Au-delà de la simple structure physique du sol, c’est bien sa dimension vivante qui est au centre des préoccupations.

Confrontée à la problématique récurrente de la qualité des « terres végétales » livrées sur les chantiers, souvent insuffisamment contrôlées et parfois réduites à un simple substrat sans vie biologique, Lyon Métropole a décidé de recourir à des analyses en laboratoire. Parallèlement, elle expérimente le recyclage des terres excavées, consistant à reconstituer des sols à partir de matériaux issus de chantiers non valorisés (« Astredhor Aura : focus sur l’arbre en ville »).

La matière organique est indispensable à la fertilité biologique du solet au bon développement des plantations. Malheureusement, les terres livrées sur les chantiers n’offrent souvent pas une qualité suffisante. Des projets comme Amares ou Climarbre doivent permettre de mieux comprendre l’impact des sols en contraintes urbaines. (© François Arnould)

Fertilité des sols : au-delà de la physico-chimie

Lors de la journée portes ouvertes Astredhor Sud-Ouest, le 25 juin dernier, intitulée « Le sol dans tous ses états ! », Marie-Claire Pajot, du laboratoire Aurea, a souligné la reconnaissance croissante de la composante biologique des sols.

Les analyses physico-chimiques courantes (granulométrie – limons, sables, argiles –, pH, P, K, Mg) ne capturent pas l’intégralité du fonctionnement du sol. « Elles analysent des extraits à l’eau ou encore une terre fine tamisée à 2 mm, ignorant les éléments plus gros, et décorrélant l’échantillon de son contexte. »

Or la capacité d’une plante à exploiter les réserves du sol peut varier de 10 à 90 % selon la structure de ce dernier. Par ailleurs, « le coefficient réel d’utilisation des engrais est compris entre 0 et 20 % pour le phosphore et entre 15 et 30 % pour le potassium. Cela veut dire que le reste de l’alimentation du végétal, quel qu’il soit, est fourni par le cycle de minéralisation de la matière organique ».

La matière organique est le « carburant commun » qui favorise la fertilité biologique. Elle est essentielle pour une vie microbienne abondante et diversifiée qui libère les éléments minéraux et améliore la structure du sol (porosité, circulation de l’air et de l’eau). « Quand on a une baisse de 30 % de la diversité microbienne au niveau d’un sol, on peut perdre jusqu’à 40 % de la minéralisation de la matière organique, et jusqu’à 50 % de la productivité végétale. »

Le laboratoire Aurea a participé aux projets Agro-Éco Sol et Microbioterre (2017-2022) visant à mieux caractériser la composante biologique du sol. Ainsi, des indicateurs fiables, reproductibles et accessibles aux producteurs (conseil opérationnel) ont été identifiés :
- le fractionnement granulométrique de la matière organique : il révèle la proportion de matière organique fraîche (débris végétaux) et labile (facilement décomposable) par rapport à l’humus stable ; une proportion suffisante de matière organique labile et grossière est essentielle pour nourrir les micro-organismes ;
- le carbone actif : fraction du carbone labile, directement assimilable par les micro-organismes, il est très réactif et sensible aux pratiques culturales ;
- la biomasse microbienne moléculaire, qui mesure la quantité globale d’ADN microbien dans le sol. Élevée, elle indique un sol plus vivant. La carte nationale du RMQS* montre des variations selon l’usage des terres et le type de sol (plus élevée avec plus de matière organique et d’argile) ;
- le ratio champignons/bactéries : la perturbation du sol (labour) réduit les populations de champignons, qui forment des réseaux mycéliens.

Mieux connaître les sols pour mieux les valoriser

Les sols n’ont été pleinement reconnus pour leurs fonctions écologiques que depuis une vingtaine d’années. Cette évolution a d’abord émergé dans le champ scientifique, avant de gagner les politiques publiques. Créé en 2001, le Groupement d’intérêt scientifique Sol (GIS Sol) a ainsi lancé le Réseau de mesures de la qualité des sols (RMQS), un programme national de surveillance à long terme, marquant un tournant dans l’évaluation de l’état des sols français.

Les projets se multiplient désormais pour restaurer ou préserver des fonctions écologiques altérées, notamment en milieu agricole. C’est le cas du programme HydroSoilWise (2024-2028), auquel As­tred­hor est associé pour la filière pépinière. Il vise à reconquérir des fonctions essentielles – capacité d’infiltration, rétention d’eau – dégradées par des décennies de pratiques intensives (labours répétés, monocultures, intrants chimiques).

Dans les zones urbaines, les sols restent encore largement méconnus et sous-étudiés. Pourtant, ils jouent un rôle déterminant dans la durabilité des aménagements. La notion de sol vivant, avec sa biodiversité microbienne et ses capacités fonctionnelles, s’impose peu à peu dans les discours et les projets. Toujours selon l’Observatoire des villes vertes, les collectivités identifient de plus en plus clairement leurs nombreux services : régulation et infiltration de l’eau (63 %), résilience face au stress hydrique (50 %), contribution à la biodiversité (60 %), mais également stockage de carbone et détoxification des polluants.

Cette prise de conscience s’accompagne de travaux de recherche croisant enjeux de production végétale et contraintes urbaines. Le programme Climarbre (2024-2028), porté par Astredhor, s’intéresse notamment aux effets des technosols** sur le développement des jeunes plants, en explorant le rôle des micro-organismes et des associations microbiennes dans la résistance au stress hydrique.

Les indicateurs biologiques gagnent aussi du terrain. Le projet participatif QUBS (www.qubs.fr), lancé dans le cadre du programme ANR Bises « Biodiversité des sols urbains et villes durables » (2019-2023), propose un suivi de la qualité biologique des sols basé sur la diversité et l’abondance des invertébrés. Toutefois, cette plateforme reste peu connue : 83 % des villes interrogées ignorent son existence (OVV, juillet 2025).

Un pilier de la résilience des villes

Encore peu intégrée aux outils opérationnels, la trame brune est pourtant promue par les stratégies nationales pour la nature (voir le dossier du Lien horticole n° 1147). Elle pourrait devenir un critère d’aide à la décision pour orienter les choix de densification ou de renaturation dans le cadre de l’objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050.

Le projet Brownies, porté par Plante & Cité, cherche justement à définir les contours de cette trame et à favoriser son intégration dans les projets d’aménagement public***. Mais le déploiement d’une telle stratégie se heurte encore à des obstacles majeurs : 46 % des collectivités évoquent des contraintes budgétaires, quand 40 % pointent un manque d’expertise technique (OVV, juillet 2025).

« La préservation des sols urbains ne peut plus se contenter de mesures superficielles, elle doit devenir un pilier stratégique de la résilience de nos villes. Sans un cadre réglementaire et financier véritable, couplé à un renforcement des expertises au sein des collectivités, nous ne pourrons pas relever le défi de la ville verte de demain », conclut Laurent Bizot, coprésident de l’Observatoire des villes vertes.

*Réseau de mesures de la qualité des sols 
**Sols conçus dans le but de fournir des services écosystémiques égaux à ceux offerts par les sols naturels (Rodriguez-Espinosa, 2021).
***Brownies 

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Le sol : un allié invisible encore méconnu

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